

Année de parution : 1964 |
Pays d’origine : États-Unis |
Édition : CD, Blue Note – 1999 |
Style : Hard-Bop, Post-Bop, Avant-Garde Jazz, Modal Jazz |
Déjà, il y a cette pochette… Bon, toutes les pochettes Blue Note ont cette esthétique si raffinée et singulière qui me plaît énormément et qui épouse à ravir les contours sinueux de cette musique toujours évolutive qu’elles abritent… Mais celle-ci en particulier me parle. Ce bleu teinté noctambule, ce cours d’eau scintillant, ces quelques brindilles qui se dressent à l’avant-plan… Que ceci est envoutant, mystérieux, presque surréaliste. Elle semble nous inviter à prendre part à un voyage sonore dont on ne reviendra pas bredouille (si on en revient tout bonnement, préférant peut-être se perdre définitivement sur ce rivage imaginaire).
En Juin 1974, quand Herbie Hancock et sa bande de talentueux comparses entrent en studio pour coucher sur bandes ce petit chef d’oeuvre de Jazz à la croisée des chemins, notre homme n’a que 24 ans. Il est déjà membre à part entière du deuxième grand quintette de l’ange noir (Miles Davis, pour ne pas le nommer), tout comme ses compatriotes Ron Carter (contrebasse) et Tony Williams (batterie), qui l’accompagnent ici. Se joint à eux le prodigieux Freddie Hubbard (toujours VIP lors des grandes occasions, celui là), qui troque ici sa trompette pour le cornet. On a donc ici affaire à 4 muzikos jeunes, inventifs, aventureux, avides d’exploration bruitative, maitrisant les codes du passé mais poussés par leur fougue à aller plus loin, toujours plus loin, à travers les cimes d’une musique qui, à l’époque, vit en quelque sorte une série d’apogées créatrices diverses de parts et d’autre… Ouais, les années 60 dans le Jazz, c’est vraiment quelque chose. Tellement d’albums parus à cette époque feront date et « Empyrean Isles » est de ceux là.

La Face A, plus classique, nous sert deux énormes morceaux de Post-Bop signés Hancock. D’abord un « One Finger Snap » énergique, enlevé, jovial, percussivement colossal mais tout de même sophistiqué. Il n’y a qu’un seul Tony Williams. Inimitable le mec. Groovy et véloce à la fois. Les 3 autres jeunots ne sont pas en reste et ne font qu’un à travers une piste qui ressemble à une balade en vélo haute-vitesse à travers divers paysages ahurissants. « Oliloqui Valley » ensuite, plus nuancée un brin celle-là, déjà plus brumeuse, mais quand même roulante, transportante… Le piano de Herbie est juste fabuleux ici, imaginatif en diable, surprenant à tous les détours, grondant de joie pure et explosive, tissant une constellation d’étoiles impressionnistes. Ron Carter nous gratifie d’un splendide solo sur lequel les touches fantômes de Hancock se déposent une à une… De la très grande musique que voilà.
Pourtant, c’est sur la Face B que l’album atteint son statut de chef d’oeuvre total. « Cantaloupe Island » d’abord. Morceau archi connu mais proprement miraculeux dans sa forme originelle qu’on découvre ici. Deux mélodies parfaites se chevauchent : La première, magnétique et ensorcelante est promulguée par un piano anguleux, saccadé, hypnotique. La seconde, lumineuse et perçante, est poussée par le cornet fantasque d’un Hubbard en transe. Ce doux ballet que se livrent ici nos deux lascars nous évoque ces îles fantasmées que le titre de l’album semble suggérer… Plages de sable blanc, nature sauvage, nuits de pleine lune mystiques, vent salin… C’est fou à quel point une composition purement instrumentale peut autant nous parler ; nous faire « voir ».
Et pour finir, « The Egg », c’est LE truc ultime du disque. Le moment le plus avant-gardiste et free de la galette. Un 14 minutes en apesanteur dans une musique hautement fertile, progressive, nébuleuse, crépusculaire… Ce piano répétitif en ouverture (à la rythmique quasi Kraut-Rock… si si, j’vous jure !), supporté par une batterie ultra minimaliste et à contre sens de tout ce qu’on a entendu jusqu’à lors… Puis, petit à petit, ça se transforme en quelque chose de grandiose et de féérique. Les conventions fichent le camp. On ne sait plus si on est chez les Jazzeux ou chez les Classiqueux Contemporains… On est un peu ici et un peu là-bas, en même temps. Les muzikos se lâchent totalement, improvisent, définissent à leur manière cet hybride nouveau genre. Quelque chose cherche à naître sous nos oreilles ébahis. Et bordel que c’est beau. La contrebasse semble se permuter en violoncelle, la batterie s’enflamme et devient magma, le piano devient volatil, dépersonnalisé, transfiguré… Puis après ce long moment d’égarement cosmique, il reprend le thème narcotique du début… puis la piste se perd dans les méandres de la nuit, alors que le fade out nous extirpe peu à peu d’un périple assez subjuguant merci.
Un Herbie Hancock magistral. Le plus important et le meilleur de sa période Blue Note.
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